Tellus, la Terre nourricière

Personnification de la Terre-Mère, première moitié du IIe siècle après J.-C. (Carthage)
Marbre - Musée du Louvre
© photo Patricia Carles

 Les Romains considéraient la terre, Tellus, comme la mère universelle de tous les êtres, c'est pourquoi ils l'appelaient "magna mater", "grande mère", ou "Alma Mater", mère nourricière. Ils l'appelaient aussi la "Bonne déesse" et la "mère des dieux".

Ce relief de marbre, conservé au Louvre, est une allégorie ; il représente, sous la figure de cette femme sereine et imposante, une synthèse de plusieurs déesses fécondes et nourricières : Cérès (elle tient, posée sur ses genoux, une gerbe de blé, des fleurs et des fruits), Vénus génitrix (elle tient deux nourrissons dans ses bras), Pax, la paix nécessaire à la prospérité et Ops, l'abondance.

Tellus, qu'on invoque dans les tremblements de terre, incarne la solidité, la fixité de l'univers. Aussi appelée "Cybèle", elle est originellement associée au roc, à la montagne, c'est pourquoi le sculpteur l'a représentée assise sur des blocs de pierres sèches ; d'autres roches, à sa gauche, participent de la même idée : "Cybèle était une personnification de la Terre, écrivait Maury, non pas spécialement de la terre cultivée et productrice, mais plutôt du sol dans son état rocailleux et abrupt primitif : voilà pourquoi les pierres, les montagnes couvertes de forêts lui étaient consacrées et passaient même pour ses images."

A la gauche de la grande déesse (à droite de l'image, donc), l'Océan, sous la figure de Neptune, qu'on donne pour le fils de Cybèle-Tellus, incarne l'eau. Il émerge à mi-corps des flots et semble ne faire qu'un avec un monstre marin de type reptilien.

A sa droite, une autre figure féminine, très mutilée, n'est pas immédiatement identifiable ; on peut néanmoins deviner, en comparant ce relief à l'autel de l'Ara Pacis, dont il partage la plupart des motifs, qu'elle tient son voile, gonflé par le vent, à la main : elle incarne probablement l'air.

Les éléments, l'eau, l'air et la terre, se conjuguent ainsi pour créer tous les êtres. Le feu, absent de notre relief, ne l'était sans doute pas de la composition.

Aux pieds de cette nymphe incarnant les souffles fertiles, la grenouille, animal amphibien, et le héron, que son vol associe au milieu aérien mais qui lui aussi se tient auprès des mares et des étangs, reprennent le même thème en abyme. Ils se distinguent de la créature monstrueuse au corps de serpent qui émerge de l'Océan avec Neptune, ils appartiennent résolument à la nature domestiquée dont se nourrissent les hommes.

Le syncrétisme romain est ici patent ; notre divinité n'est pas coiffée de tours comme Cybèle et elle ne trône pas sur des lions. Elle ne tient ni cymbales ni tympanon. Rien n'évoque, en elle, les aspects orgiaques de son culte. Elle est entourée d'animaux paisibles, la vache et le mouton, dans un paysage bucolique. En cela, elle se confond avec Ops, la grande déesse italique des âges primitifs, dont le nom même signifiait "la terre" et plus encore "les richesses de la terre" en osque ancien. On avait d'ailleurs coutume de prier Ops en touchant la terre et le vieux sens étymologique de richesse a été conservé dans le pluriel "opes", qui veut dire "les ressources".

Ops était adorée comme déesse des semences et de la moisson sous le nom de "Consiva" . Le 25 août, au moment de la moisson donc, on lui offrait un sacrifice d'actions de grâces, "opeconsiva", dans la Regia, où seuls les vestales et les pontifes pouvaient entrer.

Le troisième jour des saturnales lui était aussi consacré, parce qu'elle est associée à Saturne, dieu des semailles. Cette fête portait le nom d'"opaties". Identifiée à Tellus, Ops recevait encore en sacrifice, le 15 avril, une génisse pleine ou une vache près de mettre bas ; le veau, arraché aux entrailles de sa mère par les prêtres, était brûlé des mains mêmes de la grande vestale. Cette fête, appelée "hordicidia", avait été instituée, disait-on, par Numa ou Faunus, pour conjurer de mauvaises moissons ou des maladies décimant les troupeaux. Six jours après l'"hordicidia", on célébrait les "palities", où l'on purifiait l'assemblée avec les cendres de l'animal.

Horace nous apprend, dans ses Epîtres, qu'on immolait une truie ou un cochon à Tellus-mère ; c'est que Tellus est le tombeau commun de toutes les créatures vivantes ; or, le culte des morts va de pair avec les rites agraires : " Les fêtes de la moisson commencent par certains sacrifices expiatoires, surtout la porca prœcidanea, écrit Preller. Chaque ferme, avant la récolte, immole une truie en l'honneur des morts et pour expier les négligences qu'on a pu commettre en les ensevelissant ; car ici, comme partout, le culte des dieux champêtres confine au culte des dieux infernaux. Bien plus, toutes les fois qu'on enterrait un mort, on offrait aussi à Cérés la même victime pour purifier toute la maison : c'était la porca praesentanea. Quant au sacrifice de la porca praecidanea, Caton nous en enseigne tout au long les règles dans son De Re rustica."

Bien que rares, les images de la vie paysanne ne sont pas absentes du musée du Louvre. Elles nous donnent de précieux renseignements sur la vie quotidienne Romains.