Le rachat du corps d'Hector

 

 

Le rachat du corps d'Hector
vers 190-200
marbre


Il s'agit ici de la face principale d'un sarcophage romain ayant fait partie de la collection Borghèse (il était encastré au-dessus d'une porte dans une salle de la villa Borghèse à Rome) ; il est entré au Louvre, lors de l'achat de cette collection par Napoléon, en 1808. L'extrémité gauche du panneau manque, où devait figurer Achille assis, devant lequel Priam se tient à genoux.L'ensemble du relief comporte trois scènes juxtaposées, à lire de gauche à droite, alors que les personnages sont tous orientés comme en un défilé vers la gauche, tout d'abord Priam à genoux devant Achille est entouré de six Troyens, coiffés de bonnets phrygiens, qui portent divers vases : la rançon offerte pour obtenir la restitution du cadavre d'Hector. Au centre deux esclaves portent le corps rendu par Achille à Priam ; à l'arrière-plan des guerriers voient passer le héros défunt. À droite un groupe de femmes en deuil reçoit Hector : les remparts de Troie sont visibles au fond ; une femme est soutenue par une autre, c'est sans doute Andromaque, près de laquelle se tient l'enfant Astyanax ; à l'extrême droite une femme voûtée pourrait être Hécube, la mère d'Hector.Le cadavre du héros au centre du panneau est comme pris entre deux espaces, encore du côté des Grecs devant lesquels il passe une dernière fois et déjà reçu à Troie où les femmes éplorées l'accueillent. Le choix d'un tel motif, traité de façon dramatique, avec un net contraste entre la nudité du cadavre horizontal et le mouvement agité des vêtements, convient parfaitement à l'usage funéraire du support.[louvre.edu], texte de Irène Aghion

 

Voici le récit de cet épisode tel qu'on le trouve dans le poème épique d'Homère, L'Iliade

Hermès dit à Priam : " Zeus lui-même m'a placé auprès de toi pour te servir de guide. Mais je vais repartir ; je ne m'offrirai pas aux regards d'Achille : on trouverait mauvais qu'un dieu immortel montrât à des mortels faveur si manifeste. Entre, toi, et saisis les genoux d'Achille, et supplie-le, au nom de son père, de sa mère aux beaux cheveux, de son fils, si tu veux émouvoir son cœur. "
Ayant ainsi parlé, Hermès s'en retourne vers le haut Olympe, cependant que Priam saute du char à terre. Le vieillard va droit à la maison, à l'endroit àù se trouve assis Achille. Il l'y trouve, et seul : ses compagnons sont à l'écart. Aucun ne voit entrer le grand Priam. Il s'arrête près d'Achille, il lui embrasse les genoux, il lui baise les mains - ces mains terribles, meurtrières, qui lui ont tué tant de fils !
Priam supplie Achille en disant : " Souviens-toi de ton père, Achille pareil aux dieux. Il a mon âge, il est, tout comme moi, au seuil maudit de la vieillesse. Des voisins l'entourent, qui le tourmentent sans doute, et personne près de lui, pour écarter le malheur, la détresse ! Mais il a du moins, lui, cette joie au cœur, qu'on lui parle de toi comme d'un vivant, et il compte chaque jour voir revenir son fils de Troie. Mon malheur, à moi, est complet. J'ai donné le jour à des fils, qui étaient des braves, dans la vaste Troie : et je songe que d'eux, aucun ne m'est resté. Ils étaient cinquante, le jour où sont venus les Grecs. Le seul qui me restait, pour protéger la ville et ses habitants, tu me l'as tué hier, défendant son pays - Hector. C'est pour lui que je viens, pour te le racheter. Je t'apporte une immense rançon. Va, respecte les dieux, Achille, et, songeant à ton père, prends pitié de moi. Plus que lui encore, j'ai droit à la pitié ; j'ai osé, moi, ce que jamais encore n'a osé mortel ici-bas : j'ai porté à mes lèvres les mains de l'homme qui m'a tué mes enfants. "
Il dit, et chez Achille il fait naître un désir de pleurer sur son père. Il prend la main du vieux et doucement l'écarte. Tous les deux se souviennent : l'un pleure longuement sur Hector. Achille pleure sur son père, sur Patrocle aussi par moments ; et leurs plaintes s'élèvent à travers la demeure. Mais le moment vient où le divin Achille a satisfait son besoin de sanglots ; le désir en quitte son cœur et ses membres à la fois. Brusquement, de son siège il se lève, il prend la main du vieillard, il le met debout : il s'apitoie sur ce front blanc, sur cette barbe blanche. Puis, prenant la parole, il dit ces mots ailés :
" Malheureux ! que de peines auras-tu endurées dans ton cœur ! Comment donc as-tu osé venir, seul, aux nefs achéennes, pour m'affronter, moi, l'homme qui t'a tué tant de si vaillants fils ? vraiment ton cœur est de fer. Allons ! viens, prends place sur un siège ; laissons dormir nos douleurs dans nos âmes, quel que soit notre chagrin. On ne gagne rien aux plaintes qui glacent les cœurs, puisque tel est le sort que les dieux ont filé aux pauvres mortels : vivre dans le chagrin, tandis qu'ils demeurent, eux, exempts de tout souci… Va, endure ton sort, ne te lamente pas sans répit en ton âme. Tu ne gagneras rien à pleurer sur ton fils ; tu risques, au lieu de le ressusciter, de t'attirer quelque nouveau malheur. "
Le vieux Priam pareil aux dieux répond : " Non, ne me fais pas asseoir sur un siège, nourrisson de Zeus, quand Hector est toujours, sans que nul s'en soucie, étendu là, dans ta baraque. Ah ! plutôt, rends-le moi sans délai, qu'enfin je le voie de mes Yeux, et, pour ce, agrée la large rançon que nous t'apportons. Puisses-tu en jouir et rentrer dans ta patrie ! "

Iliade, XXIV