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Voici le récit qu'Enée fait de cet épisode dans l'Enéide du poète latin Virgile :
"C'était l'heure où
le premier sommeil commence pour les mortels tourmentés,
et par un bienfait des dieux, s'insinue avec tant d'agrément
dans leur sens. Voilà qu'en songe je crus voir Hector m'apparaître,
accablé de tristesse et versant des pleurs en abondance,
tel qu'il était naguère, quand son bige le traînait
noir d'une sanglante poussière et les pieds tout gonflés
et liés par des courroies. Hélas en quel état
il s'offrait à ma vue ! Qu'il était différent
de cet Hector qui rentrait, revêtu des dépouilles
d'Achille ou qui lançait les brandons phrygiens sur les
poupes des Danaens! Il avait une barbe en broussaille, des cheveux
agglutinés de sang, et sur le corps les blessures sans
nombre qu'il avait reçues autour des murs de sa patrie.
Il me semblait que, pleurant moi-même, j'adressais le premier
la parole au héros et que j'exhalais ma douleur en ces
termes.
« O lumière de la Dardanie, ô le plus sûr
espoir des Teucères, quels si grands obstacles t'ont retenu
? De quels bords viens-tu, Hector si longtemps attendu ? Après
tant de funérailles de tes compatriotes, après les
épreuves de toutes sortes qu'ont subies ta ville et ses
défenseurs, en quel état nous te revoyons ! Quel
indigne outrage a troublé la sérénité
de ton visage ? Que signifient ces blessures que je vois ? »
Il ne répond rien et ne s'arrête pas à mes
vaines questions, mais tirant du fond de sa poitrine de profonds
gémissements : « Ah! fuis, dit-il, fils une déesse,
et dérobe-toi à ces flammes. L'ennemi occupe nos
murs : Troie s'écroule de son faîte altier. Nous
avons assez fait pour la patrie et pour Priam. Si Pergame pouvait
être défendue par le bras d'un mortel, ce bras l'eût
encore défendue. Troie te recommande ses objets sacrés
et ses Pénates. Prends-les pour compagnons de tes destins
; va chercher pour eux ces murs superbes, que tu élèveras
enfin après avoir longtemps erré sur la mer. »
Il dit, et, des profondeurs des sanctuaires, apporte dans ses
mains les bandelettes, la puissante Vesta et le feu éternel.
Cependant, à l'intérieur des remparts, se confondent
les deuils de toute sorte ; et, quoique la maison de mon père
Anchise fût à l'écart et abritée par
un rideau d'arbres, le bruit devient de plus en plus éclatant
et le fracas des armes se rapproche. Je m'éveille en sursaut,
monte au faîte du palais et prête au loin une oreille
attentive. Ainsi, quand la flamme poussée par les Autans
furieux vole sur la moisson, ou qu'un rapide torrent, dévalant
des montagnes, ravage les champs, ravage les riants guérets
et le travail des boeufs, et entraîne les forêts dans
son cours impétueux : immobile, le berger, de la cime d'un
rocher, s'étonne du bruit qui frappe ses oreilles. Alors
la vérité se manifeste et les embûches des
Danaens se découvrent. Déjà s'est écroulé
le vaste palais de Déiphobe, devenu la proie de Vulcain...
La lueur de l'incendie éclaire au loin la mer de Sigée.
La clameur des guerriers et l'accent des clairons s'élèvent
à la fois. Hors de moi, je saisis mes armes, ne sachant
pas bien quel usage j'en ferai. Mais je brûle de rassembler
une troupe pour combattre et de courir avec nos compagnons à
la citadelle : la fureur et la colère précipitent
mon courage, et je n'ai plus qu'une pensée, c'est de trouver
une belle mort, les armes à la main.
Mais voici qu'apparaît Panthus, échappé aux
traits des Achéens... Il porte ses objets sacrées
et ses dieux vaincus, et, tirant par la main son petit-fils, il
court éperdu vers la maison. « Où en est la
bataille, Panthus ? Occupons-nous encore la citadelle ? »
À peine avais-je ainsi parlé qu'il me répond
en gémissant : « Il est arrivé le jour suprême,
et l'inéluctable terme de la Dardanie. C'en est fait des
Troyens, c'en est fait d'Ilion et de la gloire immense des Teucères
; Jupiter, farouche, a mis du côté d'Argos la victoire
; les Grecs sont les maîtres dans la cité en feu.
Le cheval menaçant, dressé au milieu de nos murailles,
vomit des hommes armés, et Sinon vainqueur sème
partout l'incendie et l'insulte."
Enéide, livre II
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