Pan et Syrinx

 


Mercure répond : "Sur les monts glacés de l'Arcadie, parmi les Hamadryades qui habitent le Nonacris, paraissait avec éclat une naïade que les nymphes appelaient Syrinx. Plusieurs fois elle avait échappé à la poursuite des Satyres, à celle de tous les dieux des bois et des campagnes. Elle imitait les exercices de Diane ; elle lui avait consacré sa virginité : elle avait le même port, les mêmes vêtements, et on l'eût prise pour la fille de Latone, si son arc d'ivoire eût été d'or, comme celui de la déesse ; et cependant on s'y méprenait encore. Un jour, le dieu Pan, qui hérisse sa tête de couronnes de pin, descendant du Lycée, la vit, et lui adressa ce discours...." Mercure allait le rapporter. Il allait dire comment la nymphe, insensible à ses prières, avait fui par des sentiers difficiles jusqu'aux rives sablonneuses du paisible Ladon ; comment le fleuve arrêtant sa course, elle avait imploré le secours des naïades, ses soeurs ; comment, croyant saisir la nymphe fugitive, Pan n'embrassa que des roseaux ; comment, pendant qu'il soupirait de douleur, ces roseaux, agités par les vents, rendirent un son léger, semblable à sa voix plaintive ; comment le dieu, charmé de cette douce harmonie et de cet art nouveau, s'écria : "Je conserverai du moins ce moyen de m'entretenir avec toi" ; comment enfin le dieu, coupant des roseaux d'inégale grandeur, et les unissant avec de la cire, en forma l'instrument qui porta le nom de son amante.
[713] Mais, lorsqu'il se préparait à raconter la fin de cette aventure, il s'aperçoit que tous les yeux d'Argus ont été vaincus par le sommeil. Il cesse de parler, et, les touchant de sa baguette puissante, il épaissit encore les pavots dont ils sont surchargés. Soudain, de son glaive recourbé, il abat la tête chancelante du monstre ; elle tombe et roule sur le rocher ensanglanté.
Tu meurs, Argus ; tes cent yeux sont fermés à la lumière ; ils sont couverts d'une éternelle nuit : Junon les recueille, et les plaçant sur les plumes de l'oiseau qui lui est consacré, ils brillent en étoiles, sur sa queue épandus.
Cependant le courroux de la déesse s'augmente par le meurtre d'Argus. Elle cherche une prompte vengeance. Sans cesse une furie impitoyable frappe les regards et trouble l'esprit de sa rivale ; d'aveugles terreurs remplissent son âme : elle erre et fuit épouvantée par tout l'univers. Le Nil devait être le terme de ses infortunes : arrivée sur ses bords, épuisée de lassitude, elle tombe sur ses genoux, et, repliant son col en arrière, elle tourne son front vers les cieux ; par des gémissements, des larmes et des mugissements plaintifs, elle semble se plaindre à Jupiter, et lui demander la fin de ses malheurs. Alors ce dieu, pressant dans ses bras son auguste compagne, la conjure de se laisser fléchir : "Cessez de craindre, dit-il, dans l'avenir ; Io ne sera plus pour vous un sujet d'alarmes". Il le jure, et il commande au Styx d'entendre ce serment.
[738] La colère de Junon s'apaise. Soudain, la nymphe reprend sa forme première ; elle est ce qu'elle avait été. Son poil s'efface ; ses cornes disparaissent ; l'orbe de ses yeux se rétrécit ; sa bouche se resserre ; ses épaules et ses mains reviennent en leur premier état ; cinq ongles séparent et divisent la corne de ses pieds : il ne lui reste de la génisse que son éclatante blancheur. Elle se relève sur deux pieds qui suffisent pour la porter : mais elle n'ose parler encore ; elle craint de mugir, et sa bouche timide ne fait entendre que des mots entrecoupés.

 

(Les Métamorphoses d'Ovide, Livre I, 689-746)