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Désormais, ennemi des richesses, Midas n'aime plus que les champs et les bois. Il suit le dieu Pan, qui dans les antres des montagnes a fixé son séjour ; mais il conserve un esprit épais, et bientôt sa sottise lui deviendra encore funeste. Le Tmole, dont le sommet s'élève dans la nue et domine au loin les mers, voit à ses pieds, d'un côté, les tours de la superbe Sardes ; de l'autre, les murs de l'humble Hypaepa. C'est là qu'au son de ses pipeaux légers, Pan attire les nymphes d'alentour, et par ses chants rustiques amuse leurs loisirs. Il ose préférer ses pipeaux à la lyre. Il défie Apollon, et le dieu du mont est pris pour juge de ce combat inégal.
[157] Sur son roc assis, le vieux Tmole, pour mieux les écouter, écarte la forêt qui couvre sa tête. Une couronne de chêne ombrage seule son front, et sur ses tempes profondes pendent des festons de feuilles et de glands. Puis, s'adressant au dieu des bergers : "Le juge est prêt, dit-il". Pan souffle aussitôt dans ses pipeaux rustiques, et charme, par son aigre harmonie, l'oreille grossière de Midas, présent à ce combat. Le dieu pris pour juge tourne ensuite sa tête vers Apollon, et la forêt a suivi ce mouvement.
Apollon se lève le front couronné de lauriers au Parnasse cueillis, et revêtu d'une longue robe que Tyr vit teindre dans ses murs. Son attitude seule annonce le dieu de l'harmonie. D'une main savante, il touche l'instrument de sa gloire. Ravi par la douceur de ses accords, le vieux Tmole prononce que la flûte champêtre est vaincue par la lyre.
[172] Tel est son jugement ; les nymphes et les bergers applaudissent ; Midas seul le trouve injuste, et le condamne. Le dieu de Délos ne peut souffrir que des oreilles si grossières, de l'oreille de l'homme conservent la figure. Il les allonge, il les couvre d'un poil grisâtre ; elles ne sont plus fixes, et peuvent se mouvoir. C'est le seul changement que Midas éprouve. Il n'est puni que dans sa partie coupable. Il a seulement des oreilles d'âne.
Il les couvre avec soin. Une tiare
de pourpre descend sur ses tempes, et cache son affront. Mais
il n'a pu le soustraire aux regards de l'esclave dont l'emploi
consiste à couper ses cheveux. N'osant révéler
ce qu'il a vu, et néanmoins ne pouvant se taire, l'esclave
s'éloigne, creuse la terre, et dans le trou qu'il a fait,
murmurant à voix basse, il confie la honte et le secret
de Midas. Il recouvre de terre ces mots indiscrets, comme s'il
eût voulu les ensevelir, et se retire en silence. Mais bientôt,
en ce lieu même, on vit croître d'innombrables roseaux
; et lorsque après le terme d'une année, ils eurent
acquis toute leur force et toute leur hauteur, ils trahirent celui
qui les avait fait naître, et dès que le Zéphyr
agitait leurs cimes légères, ils redisaient ces
mots confiés à la terre : Le roi Midas a des oreilles
d'âne.
(Les Métamorphoses
d'Ovide, Livre XI, 85-144)
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