Arachné peint sur sa toile
Europe enlevée par Jupiter. L'oeil croit voir un taureau
vivant, une mer véritable. La fille d'Agénor semble
regarder le rivage qui fuit ; elle semble appeler ses compagnes,
et craindre de toucher, d'un pied timide, le flot qui blanchit,
gronde, et rejaillit à ses côtés.
Elle peint Astérie résistant, mais en vain, à
l'aigle qui cache Jupiter ; Léda, qui, sous l'aile d'un
cygne, repose dans les bras de ce dieu ; ce dieu, qui, sous les
traits d'un satyre, triomphe d'Antigone, et la rend mère
de deux enfants ; qui trompe Alcmène sous les traits d'Amphytrion
; qui devient or avec Danaé, feu pur avec Égine,
berger pour Mnémosyne, et qui, serpent, rampe et se glisse
aux pieds de la fille de Déo.
[115] Et toi, Neptune, aussi, elle te peint auprès de la
fille d'Éole, sous les traits d'un taureau. Tu plais à
la mère des Aloïdes, sous la figure du fleuve Énipée
; faux bélier, tu trompes Bisaltis ; coursier fougueux,
tu triomphes de la déesse des moissons ; mère du
cheval ailé, Méduse, aux cheveux de serpent, t'aime
sous la forme d'un oiseau, et Mélantho, sous celle d'un
dauphin.
Elle donne aux personnages, elle donne aux lieux les traits qui
leur conviennent. On voit Apollon prendre un habit champêtre,
ou le plumage d'un vautour, ou la longue crinière d'un
lion ; enfin, sous les traits d'un berger, il séduit Issé,
fille de Macarée. Arachné n'a point oublié
Érigone abusée, qui presse Bacchus caché
dans un raisin ; ni Saturne, qui bondit en coursier près
de Phylire, et fait naître le centaure Chiron. L'ouvrage
est achevé ; la toile est ornée d'une riche bordure,
où serpente en festons légers le lierre entrelacé
de fleurs.
[129] Pallas et l'Envie n'y pourraient rien reprendre. La déesse,
qu'irrite le succès de sa rivale, déchire cette
toile, où sont si bien représentées les faiblesses
des Dieux ; et de la navette que tient encore sa main, elle attaque
Arachné, et trois fois la frappe au visage. L'infortunée
ne peut endurer cet affront ; dans son désespoir, elle
court, se suspend, et cherche à s'étrangler. Pallas,
légèrement émue, et la soutenant en l'air
: "Vis, lui dit-elle, malheureuse ! vis : mais néanmoins
sois toujours suspendue. N'espère pas que ton sort puisse
changer. Tu transmettras d'âge en âge ton châtiment
à la postérité".
Elle dit, et s'éloigne, après avoir répandu
sur elle le suc d'une herbe empoisonnée. Atteints de cet
affreux poison, ses cheveux tombent, ses traits s'effacent, sa
tête et toutes les parties de son corps se resserrent. Ses
doigts amincis s'attachent à ses flancs. Fileuse araignée,
elle exerce encore son premier talent, et tire du ventre arrondi
qui remplace son corps les fils déliés dont elle
ourdit sa toile.