Callisto

 

Cependant le grand Jupiter parcourt la vaste enceinte des cieux ; il examine si les flammes n'ont point atteint quelques parties de la voûte azurée. Après avoir reconnu qu'elle conserve toute sa force et sa première stabilité, il abaisse ses regards sur la terre ; il considère les désastres que les hommes ont soufferts. Mais c'est l'Arcadie qui devient le premier objet de ses soins. Il lui rend ses fontaines et ses fleuves, qui avaient cessé de couler. Il revêt la terre de nouveaux gazons, les arbres d'un second feuillage, et il ordonne aux forêts dépouillées de reprendre leur parure. Mais tandis qu'il va, revient, occupé de ces soins, une nymphe de Nonacris a fixé ses regards, et soudain l'amour enflamme ses désirs.

Callisto ne filait point, sous ses doigts délicats, la toison des brebis ; elle n'occupait point ses loisirs à varier la forme et les tresses de ses cheveux ; mais dès qu'une agrafe légère avait attaché son léger vêtement ; dès qu'une bandelette blanche avait négligemment relevé ses cheveux, ses mains s'armaient de l'arc ou du javelot ; elle volait à la suite de Diane. Nulle nymphe du Ménale ne fut plus chère à cette déesse. Mais est-il une faveur durable et sans fâcheux retours ?

[417] Le soleil, dans le haut des airs, avait déjà franchi la moitié de sa carrière. La nymphe était entrée dans une forêt que les siècles avaient respectée. Là, elle détend son arc, se couche sur le gazon, et repose, sur son carquois, sa tête languissante. Jupiter la voyant fatiguée, seule et sans défense : "Du moins, dit-il, Junon ignorera cette infidélité ; ou, si elle en est instruite, que m'importent, à ce prix, ses jalouses fureurs" ? Soudain il prend les traits et les habits de Diane : "Ô nymphe, la plus chérie de mes compagnes, demande-t-il, sur quelles montagnes avez-vous chassé aujourd'hui ?". Callisto se lève, et s'écrie : "Je vous salue, ô divinité que je préfère à Jupiter, et qu'en sa présence même, j'oserais mettre au-dessus de lui" ! Le dieu l'écoute, et sourit. Il s'applaudit en secret de se voir préféré à lui-même. Il l'embrasse, et ses baisers brûlants ne sont pas ceux d'une chaste déesse. La nymphe allait raconter dans quels lieux la chasse avait conduit ses pas. De nouveaux embrassements arrêtent sa réponse, et Jupiter enfin se fait connaître par un crime. Callisto se défend autant qu'une femme peut se défendre. Ô Junon ! que ne vis-tu ses efforts ! elle t'aurait paru digne de pardon. Elle combattait encore ; mais quelle nymphe peut résister à Jupiter ? Après sa victoire, le dieu remonte dans les cieux. Callisto déteste les bois témoins de sa honte ; elle s'en éloigne, et peu s'en faut qu'elle n'oublie et son carquois, et ses traits, et son arc qu'elle avait suspendu.

[441] Cependant Diane, suivie du choeur de ses nymphes, et fière du carnage des hôtes des forêts, paraît sur les hauteurs du Ménale ; elle aperçoit la nymphe, l'appelle ; et la nymphe s'enfuit : elle craint de trouver encore Jupiter sous les traits de Diane. Bientôt voyant s'avancer les nymphes de la déesse, elle cesse de craindre, revient, et se mêle à leur suite. Mais qu'il est difficile que les secrets du coeur ne soient pas trahis par les traits du visage ! À peine Callisto lève-t-elle ses yeux attachés à la terre. Elle n'ose plus, comme autrefois, prendre sa place à côté de la déesse, ou marcher à la tête de ses compagnes. Elle garde le silence ; elle rougit, et sa confusion annonce l'outrage fait à sa pudeur. Diane, si elle n'eût été vierge, eût facilement aperçu sa honte ; mais ses nymphes, dit-on, purent la reconnaître.

Phébé renouvelait, dans les cieux, son neuvième croissant, lorsque la déesse des forêts, fatiguée de la chaleur du jour, entra dans un bocage sombre, où serpentait, avec un doux murmure, un ruisseau roulant ses flots paisibles sur un sable léger. Elle admire la fraîcheur de cette retraite ; et de ses pieds effleurant la surface limpide : "Puisque, dit-elle, nous sommes loin des profanes regards des mortels, baignons-nous dans cette onde qui semble nous inviter". Callisto rougit ; les nymphes détachent leurs vêtements légers. Callisto hésite ; et comme elle tardait encore, ses compagnes découvrent sa honte en découvrant son sein. Confuse, interdite, elle cherchait à se faire un voile de ses mains : "Fuis loin d'ici, s'écria la déesse indignée, fuis ! et ne souille point ces ondes sacrées". Alors elle lui commande de s'éloigner des nymphes qui forment sa cour.

[466] Depuis longtemps l'épouse du dieu qui lance la foudre connaissait l'aventure de Callisto ; mais elle avait renvoyé sa vengeance à des temps plus favorables ; maintenant ils étaient arrivés. Arcas était déjà né de la nymphe sa rivale. Elle n'eut pas plutôt jeté ses regards sur cet enfant, que, transportée de colère, elle s'écria : "Malheureuse adultère, fallait-il donc que ta fécondité rendît plus manifestes et le crime de Jupiter et la honte de sa compagne ! Mais je serai vengée, et je te ravirai cette beauté fatale dont tu es si fière, et qui plut trop à mon époux."

[476] Elle dit, et saisissant la nymphe par les cheveux qui couronnent son front, elle la jette et la renverse à terre. Callisto suppliante lui tendait les bras, et ses bras se couvrent d'un poil noir et hérissé. Ses mains se recourbent, s'arment d'ongles aigus, et lui servent de pieds; sa bouche, qui reçut les caresses de Jupiter, s'élargit hideuse et menaçante. Et voulant que ses discours et ses prières ne puissent jamais attendrir sur ses malheurs, Junon lui ravit le don de la parole. Il ne sort, en grondant, de son gosier, qu'une voix rauque, colère, et semant la terreur. Callisto devient ourse ; mais, sous cette forme nouvelle, elle conserve sa raison. Des gémissements continuels attestent sa douleur ; et levant, vers le ciel, les deux pieds qui furent ses deux mains, elle sent l'ingratitude de Jupiter, et ne peut l'exprimer. Combien de fois, n'osant demeurer seule dans les forêts, erra-t-elle autour de sa maison et dans les champs qui naguère étaient son héritage ! combien de fois fut-elle poussée, par les cris des chiens, à travers les montagnes ! Celle dont la chasse avait été l'exercice habituel, fuyait épouvantée devant les chasseurs. Souvent l'infortunée, oubliant ce qu'elle était elle-même, se cacha tremblante à la vue des bêtes féroces ; ourse, dans les montagnes, elle craignait les ours ; elle évitait les loups, et Lycaon son père était au milieu d'eux.

( Les Métamorphoses d'Ovide, Livre II, 401-496)